Maria Ghjentile

Cet hommage in lingua nustrale est suivi d’une rapide étude sur Maria Gentile et la pieve d’Oletta au XVIIIè siècle. Par Jean-Claude CALASSI.



Maria Ghjentile

Salutu à Maria Gentile

I

Toccu sai Poghju d’Oletta

È attippatu Monticellu

Ferma in cim’à la culletta

A piaga d’un tempu ribellu.

II

Si tene una casa sfalata

Sopr’à lu vechju cunventu

Casarella scurnachjata

Muta d’un persu lamentu.

III

Casa mancu di signore

Ma puru à cantine strette

Ùn si misura soca l’onore

À u contu di le finestre.

IV

Una donna quì campava

À mezzu à la so ghjente

Maria Gentile chjamata,

Capu à sennu è core ardente.

V

Scuntrò giovana la stòria,

Fù quessu lu so distinu,

Intanata in la mimòria

D’un populu clandestinu.

VI

Supranava a resistenza

Cunsacrata la rivolta

Chì di Paoli l’indipendenza

Accinava al dilà l’Europa.

VII

Ma d’un maestru in schjavitù

Tandu sbarcò lu battaglione

À scaticà sempre di più

Cusi prumaticcia nazione.

VIII

Maria avia fattu l’abbràcciu

Liatu sincera prumessa

À paru à quellu innamuratu

Di a stessa pieve d’Oletta.

IX

Cù patriotti ellu fù chjappu

Da la réia truppa francese

D’incetta è di ladru pattu

Scunviatu puru u Ghjenuvese.

X

À la lestra cundannati

È sottumessi à la quistione

Prigiuneri macillati

Da la barbara legione.

XI

À contu paru impiccati

Dopu avelli troncu l’osse

Fratelli esposti marturiati

Sottu à le pagane forche.

XII

Paronu s’ellu ùn bastava

À paisani di fà dolu

U corbu solu inariulava

Sopr’à chjocchi à murtòriu.

XIII

Maria per santa sepultura

Trafrancata l’interdizzione

Spiccò u caru di bughjura

È l’appaghjò in linzulone.

XIV

À quellu chì di stirpìa

Insanguinava lu rughjone

Sì prisintò cusi Maria

Senza attu di cuntrizione.

XV

 » Indegna hè la legge vostra « 

Cappiò Maria à l’ufficiale,

 » Ma una fiera anima Corsa

Ùn teme falsu tribunale ! « .

XVI

S’incanta quì a nostra pena

Pigliatu arcanu paragone

Cù quella surellina Greca

Contr’à stirpaccia di Creòne.

XVII

Di quessa pare la leziò

Ne turnò bòia scuzzulatu

Chì mai nimu misse in prigiò

Di nisun populu lu fiatu.

XVIII

Ùn usa più neru mendile

Per donne d’oghje in bandaglione

Salutu à tè Maria Gentile

Luminellucciu in bughjicone.

XIX

Piazza à lu vechju cunventu

Certe nuttate puru ancu avà

Dicenu chì un scemu ventu

Sì mette cume à trasparlà.

XX

Toccu sai Poghju d’Oletta

È attippatu Monticellu

Ferma in cima à la culletta

A piaga d’un tempu ribellu.

                                                                                         Jean-Claude Calassi.

 

Maria Ghjentile

A propos de Maria Gentile et de son époque

Maria Gentile figure en bonne place dans la galerie des héros populaires Corses, en compagnie de Sambucucciu d’Alandu, de Circinellu de Guagnu, de Marcu Maria Albertini du Niolu, de Dumenicu Lucchini -« Ribellu » de Zirubia, et de tant d’autres.

Sa maison, en ruines, est encore visible sur la colline de Monticellu, à Poghju d’Oletta (1).

Qui était donc cette jeune fille surnommée l’Antigone corse ? Quels évènements a-t-elle vécu ? Cette, fort élogieuse, appellation est-elle véritablement justifiée ? C’est ce que nous allons essayer de mettre en valeur.

La Corse en 1769

En ce début d’année 1769, après quarante années d’une lutte aussi épuisante qu’inégale, l’indépendance du jeune Etat corse de Pasquale Paoli vit ses derniers moments. C’est que pour parvenir à annexer la Corse, la France de Louis XV n’a pas lésiné sur les moyens :

– Moyens militaires d’abord avec l’envoi de dizaines de milliers de soldats, parfaitement équipés, le tout appuyé par une flotte qui dispose de mouillages sûrs dans les présides de Bastia et de Saint- Florent mais aussi d’ Algajola, Calvi, Aiacciu et Bonifaziu.

Une disparité de moyens telle qu’elle fera dire à un jeune officier corse en 1789 : « Je naquis quand la patrie périssait, trente mille Français vomis sur nos côtes, noyant le Trône de la liberté dans des flots de sang, tel fut le spectacle odieux qui vint le premier frapper mes regards. Les cris du mourant, le gémissement de l’opprimé, les larmes du désespoir environnèrent mon berceau, dès ma naissance ». Chacun aura reconnu en l’auteur de ces lignes, le jeune Bonaparte…

– Moyens diplomatiques également, avec le traité-alibi de Versailles du 15 mai 1768, qui, sous un semblant de légalité, permettra à Choiseul d’agir à sa guise dans l’île, sans devoir rendre de comptes aux autres puissances européennes. On retiendra, parmi d’autres, la réaction indignée de Voltaire : « Il restait à savoir si les hommes ont le droit de vendre d’autres hommes ; mais c’est une question qu’on n’examinera jamais dans aucun traité ».

– Moyens judiciaires enfin avec l’installation à Bastia, le 24 décembre 1768, la veille de Noël, du Conseil supérieur de justice et de son président Daniel Marc Antoine Chardon, installation prévue par l’édit de Compiègne du 17 juin 1768. Cette institution assurera à la nouvelle administration française le cadre juridique nécessaire permettant de mener la répression sur les populations civiles, la troupe en campagne pour sa part exécutant, sans autres formes de procès, les patriotes armés.

Cette lutte sans pitié contre « les rebelles » s’accompagne, d’une politique de séduction vis-à-vis des Corses, du moins de certains, avides de se faire ennoblir, la monarchie française « achetant à peu de frais une élite désormais zélée à défendre la cause de la France », nous rappelle Vergé- Franceshi dans son Histoire de la Corse.

A travers les réseaux de clientèle c’est, par maillage communautaire, une partie non négligeable du peuple qui se trouvera ainsi inféodé. Le témoignage, en décembre 1768, du chevalier de Lenchères nous renseigne sur la méthode employée : « Il n’y a pas de village, grand ou petit, où il n’y ait eu quelque Capo Popolo qui n’ait reçu de l’argent pour gagner les autres ou pour conseiller la soumission à l’arrivée des troupes ou pour contrarier les levées, sans compter ceux qui prennent ouvertement la solde dans les légions et autres Corps francs… » (2)

On réalise mieux ainsi pourquoi certains ont pu basculer dans le camp d’en face. C’est que, dans une situation d’isolement, sans réel soutien politique extérieur, sans réel développement économique après tant d’années de turpitudes, la Corse de Pascal Paoli n’offre guère de perspectives de carrière intéressantes.

Ces principali, entremetteurs souvent zélés, savent tirer profit des prébendes octroyées par la puissance tutélaire, une des erreurs commises par les Génois à leur encontre ayant peut- être été de laisser tomber en désuétude la benemerenza… En échange ces mêmes habiles notables parviennent à obtenir, non sans mal parfois, la relative docilité de « leurs gens ».

Ce type de comportement politicien, au service d’une ambition personnelle, peut se comprendre.

On ne saurait cependant qualifier d’idéaliste, la démarche qui consiste à abandonner la cause du jeune et déjà moderne Etat corse pour aller se jeter dans les bras d’un monarque absolu.(3)

Voilà en revanche qui rend plus valeureux encore, et bien désintéressé, l’engagement des patriotes paolistes.

Mais l’étau se resserre, particulièrement dans le Nebbiu, région stratégique permettant de contrôler les passages entre Saint- Florent et Bastia par les cols de Teghjime, de Santu Stefanu et de Bigornu plus au sud.

La victoire des Naziunali à Borgu le 8 octobre 1768, si elle ne doit rien au hasard n’en constitue pas moins une divine surprise. Et pour encourageante qu’elle soit, cette bataille n’est ni décisive, comme le sera plus tard, en 1781, la bataille de Yorktown pour les Insurgents américains, ni même suffisamment « fondatrice » comme celle de Valmy en 1792 lors de la Révolution française.

 

La pieve d’Oletta

La pieve d’Oletta se composait des paroisses de Sant’Andria et de San Cervone (ou San Cerbone), ce qui correspond aux communes actuelles d’Oletta et de Poggio d’Oletta.

Antoine- Marie Graziani dans sa réédition de la « Description de la Corse » de Giustiniani, remarquablement préfacée et annotée, constate très justement que « la bipolarisation entre Santo Andrea (Oletta) et San Cerbone (Poggio d’Oletta) est parvenue jusqu’à nous. » Un natif de la région n’aura sans doute aucun mal aujourd’hui à identifier et à localiser les « villages » de Piazzoli, Gromanaccie, Montagione, Villa, la Lecia, lo Saliceto, le Bochezampe, Paganacie, lo Monticello, Le Livacie, lo Pogio, la Costa, Grigogna, Cazalico, Breghetta cités tels quels par l’auteur, à partir de documents datés du début et de la fin du XVIème siècle.

Ces précisions ont leur importance, dans la mesure où il convient très logiquement d’inclure la population de Poggio d’Oletta dans les tragiques évènements qui vont frapper l’ensemble d’Oletta.

En février 1769, 1500 soldats français sont cantonnés à Oletta. Paoli se devait de lancer une offensive dans la Conca d’Oru afin d’empêcher la jonction du gros des troupes françaises basées à Bastia et à Saint- Florent. Selon certaines sources, l’abbé Francesco Antone Saliceti, surnommé Peverino, aurait prévu d’introduire des patriotes dans le village d’Oletta afin de prendre par surprise les troupes françaises.

Finalement Paoli décida d’une attaque sur Barbaghju, position stratégique sur la route de Teghjime. La bataille s’acheva le 15 février par un véritable massacre : 600 Corses furent tués, (Saliceti mortellement blessé décèdera le 16 février), la plus grande partie égorgée.

Auparavant, ayant eu vent du complot suite à la trahison de Pietro Boccheciampe (nous avons vu que l’on ne lésinait point sur les moyens employés), Arcambal procède à l’arrestation d’au moins une vingtaine d’hommes à Oletta.

Conformément à la volonté de Choiseul, la justice militaire est dessaisie, le Conseil de guerre jugeant, lui, les crimes des « gens de guerre » et non ceux attribués aux populations civiles.

Le 3 mars, les inculpés sont donc renvoyés par Marbeuf devant le Tribunal civil de Bastia présidé par Chardon sous les chefs d’inculpation de « conspiration » et de « complot contre le roi » ce qui permettra de les condamner lourdement, alors même, nous rappelle Jacques Grégori, « que le prétendu crime n’avait pas encore reçu un commencement d’exécution puisque le soulèvement d’Oletta n’avait pas eu lieu ».

L’instruction débutera le 11 mars 1769. Lors du procès, le tribunal présidé par Chardon sera composé de 10 membres, des magistrats et des militaires, ainsi que du procureur général, Pierre Ambroise Chambellan et d’un interprète, Matteu Cristofari.

Le jugement rendu le 17 juillet 1769 – soit plus de deux mois après Ponte Novu – frappe aussi bien les prisonniers que les contumaces. Les peines les plus lourdes concernent cinq patriotes (certaines sources en mentionnent six), qui, selon la procédure, subiront après le jugement la « question ordinaire » dite des canettes et la « question extraordinaire » dite de la corde.

L’exécution de la sentence a lieu le 25 septembre 1769. En voici un témoignage précis extrait du « Bulletin de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de la Corse » (nov.- déc. 1893), et cité par Jacques Gregori dans sa « Nouvelle histoire de la Corse  » :

Les condamnés devront « faire amende honorable devant la principale porte de l’église-cathédrale de Bastia, ainsi que devant la porte de la principale église d’Oletta, à y être conduits et menés nus, en chemise, tenant en leurs mains une torche de cire ardente du poids de deux livres, et là, à genoux, à dire et déclarer à haute et intelligible voix que méchamment et proditoirement ils avaient conspiré contre l’Etat et les sujets du Roy dont ils se repentaient en demandant pardon à Dieu, au Roy et à la Justice ; ce fait, être menés et conduits à la principale place d’Oletta et sur un échafaud dressé à cet effet, avoir les bras, jambes, cuisses et reins rompus vifs par l’exécuteur de la Haute Justice, ensuite être mis sur une roue la face tournée vers le ciel pour y demeurer tant et si longtemps il plaira à Dieu leur conserver la vie, et leur corps morts être exposés ensuite sur une roue dans le grand chemin qui conduit de Bastia à Oletta, leurs biens, meubles et immeubles en quelque lieu qu’ils soient situés acquis et confisqués au Roy et, avant l’exécution, appliqués à la question ordinaire et extraordinaire pour apprendre par leurs bouches la vérité d’aucuns faits résultant du procès et le nom de leurs complices ».

 

Maria Gentile

Parmi les patriotes exécutés figure le fiancé de Maria Gentile. C’est un fait avéré, recoupé par divers témoignages. L’incertitude majeure porte sur le nom de famille de Maria Gentile – Maria Gentile étant ici exclusivement un prénom – comme il existe encore un doute sur le nombre précis de condamnés à la peine capitale et sur leur identité propre . (4)

Selon Jacques Denis, auteur entre autre d’une étude, fort bien documentée, sur la participation d’un régiment de Jurassiens au service du roi de France, Maria Gentile porterait le patronyme de Belgodere, et serait la fiancée de Giovanni Guidoni.

D’après Yvia Croce in « La Révolution Corse (1729-1769) », il s’agirait de Maria Gentile Guidoni fiancée à Don Pietro Leccia.

Pour Ghjuvan’ Petru Lucciardi, santupetracciu (il est né à Santu Petru di Tenda en 1862), auteur d’une pièce de théâtre en trois actes, « Maria Jentile », publiée en 1912, il s’agirait également de « Maria jentile Guidoni née à Poggio d’Oletta, fiancée à Bernardu Leccia d’Oletta ».

Plus près de nous, dans « U Maceddu », autre remarquable pièce de théâtre sur le même sujet, Rinatu Coti, son auteur, ne précise pas le patronyme de notre héroïne mais cite Bernardu Leccia comme étant le fiancé de Maria Ghjentile.

On pourrait encore citer l’Abbé Jean-Ange Galletti qui évoque dans son « Histoire illustrée de la Corse » de 1863, une dénommée « Gentile, fiancée à Leccia »…

Au-delà de la réalité des faits, historiquement reconnus, des zones d’ombre subsistent donc quant à l’identité précise des différents protagonistes, les archives étant souvent incomplètes et les témoignages parfois « de seconde main ».

C’est principalement par la tradition orale que l’histoire de Maria Gentile a été immortalisée.

Le corps désormais pitoyable de son fiancé est (comme ceux de ses autres malheureux compagnons), encore exposé, en ce début d’automne 1769, sur la place du couvent Saint François d’Oletta, gardé par les soldats du roi, avec interdiction absolue à quiconque de s’en approcher.

Que faire face à un tel déploiement de moyens ? C’est que le village, en cette année 1769, a déjà payé un lourd tribut à la guerre. Voici ce que nous en rapporte Jacques Denis : « A Oletta sont recensés 87 feux et 97 demi-feux. Une proportion inhabituelle. En effet, nous avons effectué quelques sondages dans les pieve de Ghjunssani, Niolu, Caccia, et celle du Cap Corse. Pour ce qui concerne les demi-feux, on trouve une fourchette de 30 à 50 % ; à Oletta on approche les 90%… Toujours à Oletta, l’on recense 119 hommes pour 184 femmes, 62 d’entre elles sont veuves, 9 sont âgées de plus de 60 ans. Les 53 autres (sauf une) ont des enfants en bas-âge, dont 6 sont âgés d’un an, ce qui implique la présence d’un père dans les deux ans précédents tout au plus ».

Maria Gentile est alors à peine âgée d’une vingtaine d’années. Elevée selon le code de l’honneur corse, elle possède la passion des jeunes filles de son âge. Ce qui domine cependant en elle, par-dessus tout, c’est sa soif d’absolu.

« Comu ! Aghju persu u lumu di l’ochji, a luma di u cori, u punteddu vivu di a casa, è staraghju quicci à mani bioti, à spaddi scunsi di pinseri è di primura … ? » (5)

C’est ainsi que s’exclame notre héroïne dans la scène VI de « U Maceddu » de Rinatu Coti.

La décision est désormais arrêtée : coûte que coûte, elle prendra, à la nuit tombée, au moment où la garde se fait moins vigilante, le petit chemin qui descend jusqu’au couvent depuis le promontoire de Monticellu, en contrebas du village de Poggio d’Oletta. C’est sa conscience qui la pousse.

Comme Antigone, Maria Gentile va accomplir un acte inutile mais nécessaire, afin de donner à son fiancé une sépulture digne.

« …È vogliu renda u so duveru à l’omu. L’usanzi i mantinimu noi altri i donni, patroni di a rocca è di u focu di casa … » (6) (Rinatu Coti, « U Maceddu », Scène VI).

L’intolérable serait de laisser sans tombeau les corps en décomposition, celui du frère pour l’une, celui du fiancé pour l’autre. Comme Antigone, Maria Gentile bravera la loi, parce que « un mort n’a pas besoin d’être tué deux fois ».

Sa mission accomplie, Antigone ira rejoindre son frère Polynice dans la mort. Pour elle, la loi de sa propre cité, la loi de sa – tragique – famille n’a plus aucun sens, la morale ne devant s’appliquer qu’aux vivants.

Maria Gentile, n’admet pas non plus l’implacable loi mais, contrairement à celle de Thèbes pour Antigone, cette loi-là est imposée de l’extérieur. C’est la loi du tyran qui va jusqu’à bafouer le culte des morts.

C’est finalement dans la mort qu’Antigone sera plus forte que Créon.

C’est en continuant à vivre, à lutter, que Maria Gentile pourra vaincre la loi barbare. Le combat, selon elle, doit être mené jusqu’à son terme, c’est ainsi. Le Créon de Maria Gentile se serait, dit-on, montré magnanime vis-à-vis de la jeune fille. (7) Ne se trouve – t-il pas plutôt, sur l’instant, déstabilisé, décontenancé, par la formidable conviction qui émane d’elle ? Et tout autour, la répression ne continue-t-elle pas ?

Dans un déconcertant jeu de miroirs, portée par une logique sans doute encore inconsciente de vendetta, la solidarité fraternelle va s’inverser chez Maria Gentile. Comme il est d’usage en cas de mort violente du fiancé, Maria Gentile, femme de devoir mais femme libre, épousera le frère du malheureux, les mariages étant aussi des alliances entre familles.

Cependant, ici, la famille semble s’inscrire dans un cercle beaucoup plus large. Il en va même, peut être, de la sauvegarde des valeurs de son peuple, des valeurs de sa cité.

Maria Gentile, dans cette sorte d’intemporalité méditerranéenne, incarne ainsi, par une bien mystérieuse fusion, « l’anachronique modèle » de Sophocle. Il ne semble alors en aucune façon insensé d’affirmer que Maria Gentile n’imite pas Antigone ; que Maria Gentile n’a sans doute jamais connu Antigone ; parce que, tout simplement, Maria Gentile EST Antigone.

Jean-Claude Calassi

Accademia Corsa, ghjennaghju 2006.

 

Bibliographie :

– Description de la Corse de A. Giustiniani, Préface, notes et traduction

de Antoine-Marie Graziani, Editions Allain Piazzola (1993).

– Jean-Ange Galletti, Histoire illustrée de la Corse de 1863, rééditée par Laffitte.

– Paul Arrighi, La vie quotidienne en Corse au XVIIIe siècle, Hachette (1970).

– Antoine-Marie Graziani, Pascal Paoli, Ed. Tallandier (2004).

– Michel Vergé-Franceshi, Paoli, un Corse des Lumières, Ed. Fayard (2005).

– Jacques Gregori, Nouvelle histoire de la Corse, Jérôme Martineau (1967).

– James Boswell, Etat de la Corse, présentation de Jean Vives, Ed. CNRS (1992).

– Voltaire, De la Corse, opuscule paru aux éditions Marzocchi (1989).

– Hyacinthe Yvia-Croce, Quarante ans de gloire et de misère, La Révolution de Corse (1729-1769), Editions Albiana (1996).

– Gaston d’Angelis, Don Giorgi, Georges Grelou, Guide de la Corse mystérieuse, Tchou éditeur (1995).

– René Sédillot, La grande aventure des Corses, Editions Fayard (1969)

– Rinatu Coti, U Maceddu, pièce de théâtre, Cismonte è Pumonte Edizione (1988).

– J P Lucciardi, Maria Jentile, Imprimerie Ollagnier (1912).

– Damien Bregnard, Jacques Denis, Philippe Riat : Des Jurassiens à la conquête de la Corse, recherche publiée sur histoire-généalogie.com. le 01/05/2003.

Le site Histoire du Nebbiu (voir liens), demeure incontournable pour quiconque souhaite se documenter sur la micro – région.

Maria Gentile a également inspiré une bien belle chanson à l’amicu Jean-Claude Fiori, u nostru paisanu. Rappelons enfin qu’une dynamique association de Poggio d’Oletta porte également le nom de  » Maria Gentile « .

Notes :

1/ La commune actuelle de Poghju d’Oletta comprend les  » villages  » de, Olivacce, Poghju Supranu et Monticellu.

2/ Ce que confirme Jean-Jacques Rousseau , cité par René Sedillot, in La Grande aventure des Corses (page 171) :  » L’expédition de Corse, inique et ridicule, choque toute justice, toute humanité, toute politique et toute raison…N’ayant pu conquérir le peuple par le fer, il l’a fallu conquérir par l’or « .

3/ L’Etat corse indépendant de Pascal Paoli, qui servira d’exemple aux Patriotes américains, s’était doté d’une constitution moderne,  » propre à assurer la félicité de la nation « . Il disposait également, d’une capitale, d’une armée, d’une marine, de chantiers navals, d’une monnaie, d’une imprimerie nationale, d’un journal officiel, d’une université, d’un drapeau, d’un hymne national…

4/ Les noms qui reviennent le plus souvent sous la plume des historiens sont ceux de Domenico Cermolacce, Bernardo Leccia, Don Pietro Santamaria, ainsi que des frères Giovanni et Giovanni Camillo Guidoni de Poggio d’Oletta.

5/  » Comment ! J’ai perdu l’éclat de mon regard, la flamme de mon cœur, le soutien puissant de ma maison, et je devrais demeurer là, les bras ballants, détachée de tout, sans soucis, sans même aucune préoccupation… « 

6/  » Et, envers l’homme, je veux accomplir mon devoir. Il revient à nous, les femmes, nous, gardiennes du foyer, de veiller à maintenir les valeurs de notre peuple… « .

7/ Faisant preuve de mansuétude en l’occurrence, Noël De Jourda, Comte De Vaux, général en chef des armées du Roy, accordera sa grâce à Maria Gentile, mais désormais, dans cette île qui n’a jamais connu de servage, les citoyens sont réduits au rang de simples sujets. La sévère, mais équitable, Ghjustizia paolina (sous le gouvernement de Pascal Paoli), cède la place à la justice de la monarchie absolue et au bon vouloir du prince. En Angleterre, à titre de comparaison, la loi d’habeas corpus a été adoptée en 1679…


Rédigé par Xavier Casciani le Jeudi 6 Juin 2019 à 06:44 | Lu 6590 fois